EXODE ET AVIONS ITALIENS - RECIT JUIN 1940 par Pierre Rouvet

INTRODUCTION

Nous savons tous que les armées allemandes, qui ont déferlé sur la France par la Belgique en 1940, ont poussé des millions de gens à prendre la fuite sur les routes dans la crainte d’exactions commises par les « barbares ».
Ces fuyards se sont retrouvés au milieu de l’armée française en repli et ont subi l’attaque d’avions ennemis, tant chasseurs que bombardiers, faisant beaucoup de victimes.
S’il est évident que des bombardements ont été effectués par des avions allemands dans le sud de la France, il l’est moins en ce qui concerne la participation de chasseurs italiens sur les routes de l’exode.
Loin de moi l’idée de relancer la polémique mais il y a un certain nombre de personnes qui ont décrit avec précision les signes distinctifs des avions qui les ont attaqués. Pour ma part, j’ai le témoignage de 3 personnes qui ne se connaissaient pas (mon père, servant dans la DCA, un oncle par alliance, jeune civil de 15 ans, et Pierre Rouvet, 15 ans également, (dont le témoignage fait l’objet de cette page) et qui m’ont décrit le rond blanc sous les ailes avec les 3 licteurs, et la croix blanche sur le gouvernail.
L’un d’eux, dont le témoignage suit, a même identifié le type d’appareil, un Macchi MC200.
Pour ma part, ayant 3 ans à l’époque et n’étant pas sur les routes de l’exode, je ne peux ni confirmer, ni infirmer. Mais les récits sont troublants..
Voici donc, ci-dessous, le récit de l’exode de Pierre Rouvet, ainsi que la lettre qui l’accompagnait.
Daniel Carville

Lettre d’accompagnement de Mr Pierre Rouvet

Monsieur Carville, Comme suite à notre entretien téléphonique de la semaine dernière, je vous adresse ci-joint un récit que j’avais fait il y a quelques années sur l’exode de Juin 1940 dont j’ai été un acteur.
Ce récit est tiré d’un cahier d’écolier qui me servait de carnet de route, en somme comme à l’armée. J’y ai tout de même ajouté quelques renseignements complémentaires, tels que les unités que j’ai croisées, tant françaises qu’allemandes, sur le matériel, sur les lieux de combats tant terrestres qu’aériens.
J’ai gardé une excellente mémoire heureusement malgré mes 88 ans. Je suis né le 14 Décembre 1925.
Dans ce récit, il est question de la présence d’avions italiens, notamment à Nevers le 16 Juin 1940, de chasseurs précisément que j’ai parfaitement identifiés.
Ainsi que je vous l’ai dit, je me destinais à rentrer plus tard dans l’armée de l’air pour être pilote et j’avais des connaissances solides en ce qui concernait tous les types d’avions de chasse français, anglais, allemands ou italiens : Curtis H75, Morane 406, Dewoitine 520, Bloch 152, Spitfire et Hurricane, Messerschmitt 109, Fiat CR42 ou G50, Macchi MC200, que les bombardiers LeO45, Amiot 143, Bloch 210, Potez 63.
Tous ces avions n’avaient pas de mystère pour moi. Je lisais toutes les revues aéronautiques très rares à l’époque, puis la Science et la Vie et ses numéros spéciaux consacrés à l’aviation, le Miroir. Je découpais les articles de la presse traitant de l’aviation.
Après 1940, une polémique a surgi à propos des avions italiens en France en Juin 1940, les détracteurs arguant du rayon d’action insuffisant de ceux-ci mais il n’y a pas besoin d’être grand spécialiste pour constater que les chasseurs italiens avaient un rayon d’action compris entre 600 et 700 kilomètres soit une petite heure et demie de vol, que l’Italie avait des aérodromes militaires dans le Piémont, la Lombardie, le Trentin, le Vénétie dont les avions pouvaient atteindre l’Autriche, la Bavière sans problème. Donc, l’argument tombe.
Quant à la raison de la présence en France, il peut sembler tout à fait plausible que Mussolini ait voulu, dans les quelques jours qui ont suivi sa déclaration de guerre à la France le 10 Juin 1940, apporter une petite contribution en aidant la Luftwaffe, et même en voulant essayer de nouveaux chasseurs. Je veux parler des Macchi MC200 (200 sortis en Juin 1939) et que j’ai reconnus à Nevers.
Il est bien évident, qu’après la guerre, le gouvernement italien n’avait pas intérêt à révéler la vérité, et des documents durent être cachés ou détruits.
Le 10 Juin 1940 la France était déjà vaincue et le coup de poignard de l’Italie ne servait à rien mais les deux pays étaient déjà complices en envoyant leurs avions militaires en Espagne en 1936, quatre ans auparavant.
Quant à la présence d’avions italiens aux bombardements de Montluçon, Moulins et Givors, il a été prouvé qu’il s’agissait bien d’avions allemands. L’intervention italienne n’eut lieu que dans l’axe de la percée allemande, avec un appui au sol, que dans les départements de l’Aube, de l’Yonne et de la Nièvre.
Je reste persuadé qu’il n’y avait pas plus d’une escadrille, soit une douzaine d’avions qui n’eurent pas de pertes.
Je tenais à apporter un témoignage tant qu’il est temps et je me suis retourné vers vous qui êtes un spécialiste beaucoup mieux que moi.
J’ajouterai que l’itinéraire que j’ai suivi du 14 au 20 Juin 1940 doit beaucoup ressembler à celui de votre père, le maréchal des logis Carville Albert du 402e RADCA.
Je terminerai en vous priant de bien vouloir agréer, Monsieur Carville, mes sincères salutations.


Photo du site hsfeatures.com - Ian Robertson
Voici exactement le type d’appareil que j’ai vu le 16 Juin 1940 à Nevers (Nièvre) et qui a mitraillé notre train de marchandises stationné sur le pont de chemin de fer sur la Loire.
Pierre ROUVET

UNE SEMAINE EN JUIN 1940 par Pierre Rouvet

Le lundi 14 Juin 1940, j’habite alors à Saint-Florentin Vergigny dans le département de l’Yonne, avec ma mère et mes deux frères âgés de 17 et 19 ans. J’ai moi-même quinze ans. Mon père a été mobilisé et il se trouve alors à l’Isle-Jourdain dans la Vienne. Il est chef de travaux au Génie et construit des ateliers de chargement pour l’armée.
Depuis quinze jours environ, nous voyons passer des réfugiés civils venant des départements du Nord, des Ardennes et de la Meuse, mais il ne s’agit que de petits groupes dans lesquels il y a des charrettes tirés par des chevaux, des voitures en nombre limité, des tracteurs et quelques camions.
Je remarque également des soldats belges à vélo, bien reconnaissables à leur bonnet à pompon, et même un convoi complet de la Royal Air Force anglaise qui regagne une base plus au Sud. Par contre, il n’y a aucun soldat français.
Les arrivées de tout ce monde se font par les routes de Troyes (RN77) et de Sens (RD925). Dans les airs, et depuis trois jours, on est survolé par des avions français en formations. Plusieurs centaines se dirigent vers le sud.

Le terrain d’aviation de Chéu a été abandonné la veille et j’ai vu les bombardiers
Amiot 354 - Photo du site de dpalix - Mach2
Amiot 354
décoller. Ils étaient stationnés là depuis le début Mai 1940, menant des raids sur le front. L’un d’entre eux s’est écrasé le 3 Juin 1940 près du terrain au retour d’une mission. Les trois membres de l’équipage ont été tués (voir la Fiche). J’ai assisté à leurs funérailles en l’église de Saint-Florentin qui était trop petite pour accueillir la nombreuse affluence.
Pour en revenir aux quelques centaines de soldats belges qui s’enfuient, il faut dire que leur roi, Léopold III, avait signé la reddition des forces belges le 28 Mai 1940. C’est un germanophone admirateur d’Hitler, mais les soldats belges se sont enfuis en France pour ne pas être faits prisonniers. En aucun cas ils ont combattu avec l’armée française.
Quant aux anglais, ils rentrèrent en Angleterre, sans que leurs avions ne défendent le ciel français avec leur allié ; ce fut une trahison des deux pays, la France se retrouva seule.

Le matin du 14 Juin 1940, la place Dilo à Saint-Florentin est noire de monde; des soldats français avec leur matériel : des automitrailleuses
Panhard 178 - Photo du site fr.wikipedia.org
Panhard 178
avec leur mitrailleuse
Reibel MAC 31 - Photo du site fr.wikipedia.org
Reibel de 7,5mm
, des side-cars
Gnome et Rhône AX2 - Photo du site www.asphm.com
Gnome et Rhône AX2
, des camions et quelques canons. Je vais les voir et ils nous apprennent qu’ils arrivent de Pont-sur-Yonne, de Sens, de Nogent-sur-Marne, de Romilly, de Troyes où ils ont combattu deux jours pour empêcher les allemands de traverser la Seine, l’Yonne et l’Aube dont tous les ponts ont sauté.
Menacés d’encerclement, ils ont reculé pour préparer de nouvelles positions sur l’Yonne à nouveau, l’Armançon, le canal de Bourgogne, autant d’obstacles naturels.

A Saint-Florentin se regroupe la 2ème division d’infanterie d’active avec ses trois régiments – 33ème, 73ème et 127ème RI - 34ème RAD, 234ème RALD, 11ème GRDI (Groupe de Reconnaissance de Division d’Infanterie). Toutes ces unités seront encerclées par les divisions blindées allemandes et leur infanterie le surlendemain.

Nous nous trouvons brusquement sur le front et les officiers français nous préviennent que les allemands risquent d’arriver dans la soirée ou au plus tard le lendemain matin, et qu’ils vont tenter de les arrêter.
La décision de partir est prise immédiatement. Ma mère, mes deux frères et moi avons de bons vélos de la Manufrance. Le temps de prendre, une petite valise, un sac avec un peu de linge, quelques vêtements de rechange. J’ai pris également une carte Michelin, achetée au début de la guerre pour situer le front avec précision, notre poste de radio Radiola, sous-marque de Philips. Il faut ranger la maison et la fermer à double tour. A cet instant-là, nous ignorons que nous n’y reviendrons jamais.
Dans les rues de Saint-Florentin, les habitants font comme nous et la ville est vidée en une heure à peine.

RéfugiésJ’ai choisi, sur ma carte la direction d’Auxerre par la RN77 mais elle est déjà encombrée de milliers de réfugiés avec des véhicules de toutes sortes. En une heure, nous sommes seulement à l’entrée de Pontigny et je décide de changer de direction pour prendre les petites routes, par Ligny-le-Châtel, Maligny par la RD91 mais à l’entrée de Chablis, à la jonction avec la RD906, notre colonne de réfugiés est stoppée par un convoi militaire de soldats, de canons de 75mm tractés, d’automitrailleuses de différents modèles, de quelques citernes d’essence. Ce convoi arrive d’Auxerre et se dirige sur Chablis, et tous les réfugiés et leurs véhicules quels qu’ils soient doivent se ranger sur les deux bas-côtés de la route, voire même dans les champs sous les injonctions de voitures militaires avec des officiers à bord.

Nous arrivons enfin au centre de Chablis, il est 15 heures. Comme nous avons quitté Saint-Florentin à 10 heures, nous avons mis 5 heures pour parcourir 30 km, soit une moyenne de 4,5 à 5 km/h. Mais la suite sera bien pire.
Nous faisons une petite pause pour nous reposer, surtout notre mère très fatiguée. Elle a 47 ans et n’a pas fait de vélo depuis 15 ans. Puis nous reprenons la route qui est de plus en plus encombrée, notamment par des voitures, des camions et même des cars en panne.

C’est ensuite la traversée de Cravant, Vermenton, Arcy-sur-Cure, Voutenay-sur-Cure, toujours sur la RN6 et enfin l’arrivée à Avallon presqu’à la tombée de la nuit, vers 9 heures.
La ville est bondée de civils et de véhicules de toutes sortes, mais la municipalité a bien fait les choses : des dames de la Croix-Rouge nous prennent en charge et nous conduisent aux Halles, immense bâtiment moyenâgeux en pierre où de la paille a été étalée à même la terre.

On nous confie à des religieuses, avec leur grande cornette blanche et leur robe bleue, en nous indiquant notre place. Une demi-heure plus tard une soupe chaude nous est servie, que nous avalons goulûment. De jeunes infirmières s’occupent des blessés légers mais il s’agit surtout de maux de pieds, ampoules, entorses ou de personnes agées rompues de fatigue. Inutile de vous dire que la nuit est de courte durée, d’autant plus que le bruit de la canonnade ne s’arrête que vers 11 heures du soir.

Le lendemain 15 Juin à l'aube, nous sommes debout et préparés en quelques minutes. Il y a urgence car la veille au soir les informations qui circulent donnent les allemands à Sens, Saint-Florentin, Tonnerre, Châtillon-sur-Seine.. Autrement dit, à une distance de 50 à 60 km d’Avallon.

Certains réfugiés qui étaient arrivés par la route d’Auxerre font état de bombardements aériens et de mitraillages qu’ils ont subi, notamment au nord d’Auxerre, à Moneteau, le terrain d’aviation, la gare et la RD606 plus au sud à Cravant. Quelques années après la guerre, j’appris qu’il y avait alors là, dans des anciennes carrières creusées dans la falaise calcaire au bord de l’Yonne, une immense mine souterraine où étaient montés les bombardiers moyens
Lioré et Olivier 45/451 - Photo du site www.cocardes.org
LeO 45
, dont les pièces arrivaient de Villacoublay près de Paris où se trouvaient les usines. Un terrain d’atterrissage fut même construit. Les allemands, pendant l’occupation, activèrent ce site pour la réparation de leurs chasseurs
Focke Wulf 190 - Photo du site www.pixstel.com
Fw190
.
Les réfugiés font alors état de mitraillage par des avions qui ne portaient pas de croix noires mais qu’ils n’ont pas identifié clairement. Puis quelqu’un parle d’avions italiens car l’Italie avait déclaré la guerre à la France quatre jours plus tôt, le 10 Juin 1940, et nous étions tous au courant par les journaux et la radio.

Notre départ à vélo d’Avallon, tous quatre, a lieu à 6 heures du matin et après nous être consultés, un itinéraire est choisi sur la carte Michelin par Clamecy, qui est la seule issue pour atteindre Nevers, car à l’ouest on savait que les allemands descendent la vallée de la Loire et à l’est qu’ils sont déjà à Montbard, fonçant sur Dijon.
La D951 actuelle est déjà bien embouteillée par des colonnes de réfugiés, comme la veille, mais pas de militaires. A la sortie d’Avallon, nous prenons la D951 mais nous mettons plus d’une heure pour arriver à Vezelay et sa basilique perchée sur un piton où nous faisons halte car on y a un panorama magnifique sur la région.
Si le bruit de la canonnade s’est un peu atténué, on voit au nord d’immenses volutes de fumée noire nous signalant les villes bombardées. On devine Chablis au nord dont le bombardement est en cours ainsi que les concentrations de troupes et de matériel de l’armée française qui y ont installé une ligne de défense sur le Serein et les bois environnants.

Ju87 en piquéIl est environ 11 heures du matin. On distingue les coups de départ de l’artillerie française et allemande comme sur un diaporama et à cet instant un avion d’observation allemand
Henschel 126 - Photo du site fr.wikipedia.org
Hs126
, reconnaissable à son aile haute et à son grand train d’atterrissage, nous survole à 2 ou 3 reprises à environ 700 m d’altitude. Il vient régler les tirs allemands.
Cette fois-ci, sans le vouloir nous sommes en première ligne car on peut voir l’infanterie française se mettre en place, puis l’artillerie plus en arrière. En l’air, des vagues de bombardiers
Dornier 17 - Photo du site www.dailymail.co.uk (Mark Duell)
Do17
(surnommés les crayons volants),
Heinkel He111 - Photo du site www.warbirdalley.com
He111
et
Junkers Ju87 - Photo du site aviationdumonde.e-monsite.com
Ju87
Stuka virent sur nos têtes, leur mission accomplie à 30 ou 40 kilomètres de là. Tous sont bien allemands, dans notre secteur au moins.
On a appris à reconnaître la marque et le type des avions. On aperçoit maintenant des avions qui mitraillent les routes et les ponts ainsi que les gares et les voies ferrées. Vault-de-Lugny, en bas de notre colline, est mitraillé par des chasseurs allemands.

Ce n’est que vers onze heures que nous entrons enfin dans Clamecy par un grand virage en descente d’où l’on surplombe la rivière Yonne. La ville est bondée de réfugiés arrivant d’Auxerre, d’Avallon et d’ailleurs.
Nous avons, ce matin-là, parcouru 43 km en 5 heures, soit 8 km à l’heure, mais les allemands ne nous ont pas rattrapés. Pourtant ils sont nombreux à nos trousses. Quatre divisions blindées (les 1ère, 4ème, 9ème et 10ème Panzers Division) soit plus de 600 chars, et 6 divisions d’infanterie, soit plus de 150000 hommes en tout.
Mais partout, les quelques unités françaises complètes, telles que la 14e division d’infanterie du Général de Lattre de Tassigny, la 7e division légère mécanique du Général Marteau, retardent l’avance allemande.

A Clamecy un problème surgit. Notre mère, complètement épuisée, ne peut plus continuer à vélo. Il faut envisager une autre solution, et mon frère aîné Marius suggère qu’il reste le train que nous prendrons, nous et nos vélos. Sitôt dit, recherche de la gare mais elle est de l’autre côté de la rivière. On traverse donc le pont sur l’Yonne et le canal, toujours au milieu de la cohue de plus en plus dense.

C’est à ce moment que les cloches de l’église se mettent à sonner à toute volée. On aperçoit d’ailleurs le clocher très haut de l’église. Puis une rumeur parcourt la foule « la guerre est finie car Hitler s’est sauvé ». C’est la stupeur. Les gens se regardent, incrédules mais méfiants. Il n’y a pas de joie sinon l’attente d’autres nouvelles mais en vain. Au bout d’une bonne heure, il y a confirmation que la nouvelle était fausse. Nous saurons, mais beaucoup plus tard, que les allemands ont parachuté des soldats habillés en civil tout près de Clamecy le matin du 15 Juin, chargés de répandre de fausses nouvelles pour démoraliser ou tromper la population en répandant la nouvelle que les allemands étaient là, ou par exemple que l’armistice avait été signée. Quelques paysans du coin, après la guerre, témoignèrent avoir vu des parachutistes à Sembert, dans la banlieue de Clamecy. L’histoire a gardé le nom de cinquième colonne aux agents allemands parachutés, qui pratiquèrent aussi des sabotages ou qui aiguillèrent les troupes dans de fausses directions.

La cohue dans les trainsEn gare de Clamecy stationne déjà un train de voyageurs que nous remontons en vain. Il est complet, même dans les couloirs et les WC. Derrière ce train un autre que nous inspectons sans plus de succès.
Nous décidons d’attendre la venue d’un hypothétique troisième train, mais les agents de la SNCF présents nous apprennent que, devant les deux trains de voyageurs, il y a des trains en attente soit parce que les voies ont été bombardées depuis trois jours mais que des équipes de poseurs réparent au fur et à mesure, soit parce qu’il y a beaucoup de trains qu’il faut écouler en respectant la sécurité.

Quant aux trains à l’arrivée, c’est le flou le plus complet avec, là aussi, les bombardements incessants de la Luftwaffe paralysant le trafic mais en tout état de cause, compte-tenu de l’arrivée imminente des allemands, d’ailleurs à ce moment précis des explosions retentissent et tout le monde scrute le ciel mais point d’avions en vue.
Rapidement il faut se rendre à l’évidence, c’est l’artillerie lourde allemande avec des 105 et des 155 mm pour préparer l’attaque que l’on devine pour le lendemain matin mais cela parce que les artilleurs allemands se trouvent à 10 ou 12 km de Clamecy au maximum.

A ce moment-là nous décidons quand même d’attendre car nous n’avons plus le choix. Notre attente dure bien 2 heures quand nous entendons le bruit d’une locomotive au lointain, et nous la voyons arriver au pas, crachant toute sa fumée. Nous faisons presque un kilomètre vers elle, à pied évidemment, le long des voies.
Le mécanicien s’arrête car nous sommes près d’une centaine de personnes à vouloir prendre le train mais nous étions déjà rodés. Mais de wagons de voyageurs, point ! Par contre, des wagons tombereaux avec, soit des ridelles de plus d’un mètre de haut, soit de simples wagons plats mais tous chargés de matériel, et sur lesquels il y a déjà du monde. Au sixième wagon il y avait un peu de place. Avec ma mère et mes deux frères, nous montons dessus en chargeant nos quatre vélos, en poussant un grand soupir de soulagement en nous croyant sauvés mais c’était une erreur comme le montrera la suite.

Notre attente dure trois bonnes heures car ce n’est qu’à 18 heures que notre convoi démarre, la voie devant être libre. C’est au pas que s’accomplissent les 15 km pour arriver en gare de Tannay, dans la Nièvre, et là je m’aperçois en regardant ma carte Michelin que le train n’a pas pris la ligne habituelle : Clamecy-Nevers par Varzy, Prémery, Guérigny mais celle-ci devait être détruite par les bombardements. Alors on allait certainement descendre par Tannay, Corbigny, Chatillon-en-Bazois, Decize pour remonter sur Nevers. Ce fut effectivement la cas.
Une première attaque aérienne a lieu vers 16 heures, menée par une douzaine de bombardier
Dornier 217 - Photo du site aviation-militaire.kazeo.com
Do217
.
Par miracle notre convoi ne reçoit pas de bombes, celles-ci explosant dans les champs et les bois tout autour. Une explication : peut-être les bombardiers volaient à une altitude de 2500 à 3000 mètres et un train est une cible très petite à cette hauteur, mais le Luftwaffe redoute la DCA française qui a déjà abattu quelques dizaines de bombardiers les jours précédents.

Auparavant nous avons eu tout notre temps pour examiner notre wagon tombereau dans lequel nous nous trouvons et où il y avait une douzaine de réfugiés dont 3 ou 4 hommes seulement de plus de cinquante ans. Le reste : des femmes et des enfants. Il y a des caisses en bois qui renferment des moteurs d’avions en cours d’usinage et sur lesquels on peut lire « Lioré Olivier – Villacoublay », puis des longerons de 8 ou 10 mètres de long, des morceaux d’ailes et de fuselages. Je vois tout de suite qu’il s’agit de pièces de LeO45, un nouveau bimoteur sorti en 1938, tout à fait moderne et performant mais qui n’a pas eu le temps d’être construit en grand nombre.

J’ai déjà dit que ce wagon était déjà occupé par des réfugiés à Clamecy, qui avaient installés des litières avec de la paille prises dans les champs. Il y a même un coin WC avec deux seaux hygiéniques, comme on les appelle à l’époque, et qui répandent déjà une odeur d’urine et d’excréments.
Nous installons donc en premier nos litières, nos petites valises, nos baluchons et nos quatre vélos juchés sur des caisses.
Lors du bombardement, le chauffeur a forcé la vapeur pour échapper aux bombes et cela réussit mais une dizaine de kilomètres plus loin le train stoppe tout de suite après une gare, où un panneau indique Corbigny.

Depuis Clamecy, nous avons longé la rivière Yonne à notre droite et les monts du Morvan à notre gauche, dont certains sommets atteignent 4 ou 500 mètres. Puis nous distinguons une tour blanche de 20 ou 30 mètres de haut. Ce n’est que vers la fin de l’année 1940 que j’appris qu’il s’agissait du monument commémoratif de la catastrophe de l’avion Dewoitine D.332 d’Air-France, L'Emeraude, tombé le 15 Janvier 1934 au retour de l’Indochine, avec des personnalités à bord. Ce monument a été construit quatre ans après. L’avion avait été pris dans un brouillard très épais et une tempête de neige à 20 heures.

Entre Clamecy et Nevers notre train fait une douzaine de haltes, certaines de plus d’une heure, dans l’attente que la voie soit libre, mais la canonnade est tout autour de nous. Les artilleurs français et allemands se répondent. On distingue nettement tous les coups de départ, juchés sur les caisses de notre wagon, qui constituent un excellent observatoire.
Le train arrive en gare de Tamnay-en-Bazois puis il entame une vaste courbe vers l’est, longeant le canal du Nivernais pour déboucher sur la Loire à Decize, où le chauffeur et le mécanicien font le plein de charbon et d’eau pour la locomotive.

RéfugiésNous voyons les habitants charger des charrettes à bras, à cheval, quelques camions poussifs, de nombreux cyclistes et aussi des gens à pied. C’est invraisemblable une telle panique mais les combats se rapprochent de plus en plus et les bombardiers allemands font leur réapparition, cette fois-ci beaucoup plus bas, entre 1500 et 2000 m, seulement par petits groupes de 6 ou 12 appareils. En tout, il y en a 50 ou 60 qui se dirigent sur Nevers avec pour cibles les ponts routiers et ferroviaires, la gare avec son dépôt de locomotives et son triage, l’aérodrome de Nevers-Fourchambault dans la banlieue près de la Loire, les dépôts d’essence et toutes les routes avec leurs ponts, leurs viaducs, leurs carrefours et enfin les concentrations de troupes françaises avec leur matériel, convois automobiles et hippomobiles. Un véritable gâteau pour la Luftwaffe.
On entend les premières déflagrations des bombes mêlées aux coups de la DCA française. Nous sommes à ce moment-là à 30 km à l’ouest de Nevers.

A Decize et aux alentours se regroupent le VIIIe corps d’armée français du Général Desmazes, avec la 53e Division légère d’infanterie, la 14e Division d’infanterie du Général de Lattre de Tassigny, la 7e Division légère mécanique du Général Marteau, le 505e régiment de chars de combat avec ses
Avro Lancaster - Photo du site www.jeuxonline.info
Hotchkiss H35-39
, ses
Renault R35 - Photo du site fr.wikipedia.org
Renault R35
, de l’artillerie divisionnaire avec des 75 et de 105 mm.
On commence alors à découvrir d’immenses fumées monter dans le ciel. Nous ne savions pas qu’elles proviennent des importants dépôts d’essence de Gimouille, à 9 km de Nevers, mais il y a aussi la fumée des maisons de la ville, qui a été sévèrement touchée.

Le train quitte Decize à 9 heures. Nous avons passé toute la nuit du 15 au 16 Juin entre Clamecy et Decize, soit 120 km en 15 heures; moyenne 8 km/h.
Nous savons que nous avons au moins 5 trains devant nous, et tout le reste de la matinée se passe à attendre mais cette fois-ci beaucoup plus longtemps. Avant d’arriver à Nevers, il a aussi fallu attendre la fin du bombardement de la ville.

En gare de Nevers, il y a tout de même une distribution de vivres par les dames de la Croix-Rouge et les scouts, du pain, du lait, des biscuits, des boites de conserves, de l’eau. De quoi tenir 2 jours environ.
De nombreux soldats en armes sont stationnés tout autour de la gare dans l’attente d’être répartis dans la ville et la banlieue, notamment pour la défense des ponts sur la Loire. Certaines de ces unités viennent d’arriver de Paris par train.

L’après-midi se passe en gare de Nevers sans bombardement comme le matin. Nous restons sur notre wagon dans l’attente d’une voie enfin libre. De temps en temps l’artillerie donne de la voix mais toujours pas d’avions allemands. Notre locomotive se met à siffler pour prévenir les gens, et le convoi s’ébranle vers le sud au grand soulagement de tous.
Selon ma carte on doit se diriger sur Saincaize, importante gare de triage à 12 km.

C’est au moment où nous franchissons le pont sur la Loire que le train stoppe, et la nouvelle attente assez longue, plus d’une heure, est interrompue par un vrombissement d’avions venant de l’aval du fleuve. Alors, nous voyons surgir un groupe de 3 chasseurs qui nous prennent pour cible. Ils sont à trois ou quatre cents mètres de haut. Le tac-tac des mitrailleuses ébranle l’air.
Le temps de nous retourner pour les voir virer et remonter, nouveau vrombissement de trois autres chasseurs mais là, en quelques secondes, nous sautons en bas du wagon pour nous abriter en dessous, couchés sur le ballast entre les roues de préférence, imités par les autres réfugiés.

Nous avons la gorge serrée et la peur au ventre, ce qui ne m’empêche pas de regarder l’attaque car entre le fond du wagon et le ballast il y a presque un mètre, bien suffisant pour voir distinctement les avions qui nous foncent dessus, dans le crépitement de leurs mitrailleuses.
L’avant des appareils est rond, signe indiscutable d’un moteur en étoile. Dans la carlingue on distingue la tête du pilote avec son serre-tête en cuir. L’un d’eux, en dégageant, découvre le dessous de ses ailes. Stupeur ! Pas de croix noire mais un cercle blanc avec, à l’intérieur, trois espèces de flèches verticales noires.
A la troisième passe de trois autres appareils, je remarque également une croix blanche sur la dérive arrière.

Puis c’est le silence angoissant, bientôt rompu par les cris de réfugiés qui ont été blessés. On va vers eux mais on ne peut pas les secourir. Quelques soldats en armes surgissent au bout d’une demi-heure, l’un porte un fusil-mitrailleur Châtellerault
MAC 24/29 - Photo du site fr.wikipedia.org
MAC 24/29
dont le canon est encore chaud car il vient de tirer plusieurs chargeurs sur les avions.
Ils font partie de l’unité chargée de défendre le pont mais comme ils se tenaient sur les rives de la Loire et camouflés, on ne les avait pas aperçus. L’un d’eux, infirmier, peut dispenser quelques soins aux blessés mais surtout un autre galope précipitamment vers le téléphone de la section qui marche encore avec quelques tours de manivelle.
Quelques minutes plus tard, on entend la sirène des ambulances, au nombre de trois ou quatre, qui effectuent des rotations avec l’hôpital car on est encore en ville.

Durant cet intermède, plus aucun avion ne se présente. Nous remontons sur notre wagon et là, comme par miracle, le train se remet en marche, le mécanicien ayant dû comprendre qu’il fallait abandonner ce pont infernal.
Mais nous allons tomber de haut. Au bout d’une demi-heure, trois escadrilles de bombardiers allemands surgissent du ciel, allant vers le sud, et le même scénario se représente : bruit des explosions, fumées noires grimpant vers le ciel. Nous assistons au bombardement de Saintcaize, de sa gare, de son triage, ses dépôts d’essence et de matériel. La guerre se poursuivait vers le sud, là où nous allons mais il n’y avait pas d’autre alternative.

Puis, après un important arrêt dû aux bombardements allemands. A cet endroit, la voie ferrée longe la fameuse route Nationale 7, chantée par Charles Trenet un peu plus tard, route à l’époque bordée de platanes, appelée aussi Route Bleue car elle mène à la Côte d’Azur. Notre train, roulant toujours au pas, traverse une gare, sur le panneau de laquelle nous pouvons lire Magny-Court, là où a sera construit un magnifique circuit automobile.

L'artillerie françaiseBrusquement, la pluie tombe. C’est normal car nous avons eu une chaleur très lourde, ponctuée d’éclairs qui venaient s’ajouter au fracas des armes.
La nuit n’est pas encore tombée, on est en Juin, lorsque nous apercevons sur la RN7 un convoi militaire français qui se porte au-devant des allemands. Il y a, pêle-mêle, des camions chargés de soldats, des canons de 75mm tractés par des camions chenillés Unic P107, des automitrailleuses Panhard de 178, quelques chars Hotchkiss H39 et des Renault R35.
Ce convoi engage les allemands à Nevers et les contiendra le soir du 16 Juin et le lendemain 17 mais devront se replier sous la suprématie allemande en chars, en canons et en avions. L’armée française était à bout et l’on s’en doutait en voyant le spectacle, si tant est que la guerre est un spectacle, qui se déroulait sous nos yeux.
Il est 21 heures et il fait encore jour. Nous sommes en gare de Saint-Pierre-le-Moûtier à 30 km de Moulins.

Le jour se lèvera à 6 heures. La RN7 est vide et c’est là que nous voyons arriver une colonne militaire qui descend vers le sud et à 400 mètres à peine des side-cars avec 3 hommes et une mitrailleuse. Nous voyons avec un certain effroi que les soldats portent un casque carré, de grosses lunettes à monture caoutchouc, un imperméable très long et des bottes en cuir. Cette fois on les a en face, à portée de main : ce sont des allemands mais le mécanicien ne se laisse pas impressionner et file à toute vapeur.
Les allemands médusés le laissent partir mais leurs officiers ont dû se rendre compte qu’il n’y a que des civils sur le train.
La nuit est maintenant tombée et tout est silencieux. Les combats ont cessés. Derrière, de grandes lueurs signalent les incendies, le ciel est rouge et il pleut toujours. Sur les wagons, nous sommes trempés et avons presque froid. Il y a aussi la vitesse du convoi.

Nous arrivons dans une nouvelle gare signalée Villeneuve-sur-Allier à 10 km de Moulins, seulement il y a une halte d’une bonne heure. On a toujours la hantise d’être rattrapés par les allemands mais quelque chose nous sauve et que j’appris plus tard : l’état-major allemand a décidé de stopper l’offensive pour des raisons évidentes. Les soldats sont harassés et tombent de fatigue, ils n’ont pas beaucoup dormi pour la plupart depuis 5 nuits, et le carburant et les munitions ne suivent pas. Les prévisions tablaient sur une avance journalière de 20 à 30 km. Or on en était au double ou au triple.

Tout le monde va se coucher où il peut, c’est-à-dire sur place. J’appris plus tard que nous avions sur nos talons le régiment Leibstandarte SS Adolf Hitler, dénommée LSSAH pendant toute la guerre, unité SS commandée par le Colonel Josef "Sepp" Dietrich, ancien chauffeur personnel d’Hitler en 1933, et qui avait fait la guerre 14/18 dans les blindés. Homme brutal et violent, il occupe le château de Villars à Villeneuve-sur-Allier.
Cette nuit-là le propriétaire, ancien officier de caractère, préféra quitter sa demeure plutôt que de cohabiter avec l’ennemi. Il revint 2 jours plus tard après le départ des allemands. Notre train doit encore attendre, comme il l’a fait avant les très grandes gares, mais nous sommes bien dans la ville car de petites maisonnettes bordent la voie des deux côtés avec leur jardinet bien propre. C’est tout ce qu’on peut apercevoir.

Les réfugiés descendent des wagons, tout comme nous, et se promènent dans la nuit le long de la voie ferrée. En tout état de cause, la locomotive sifflait en cas de départ.
Inutile de dire qu’il n’est pas question de dormir. Il faut être prêt à toute éventualité. C’est le cas vers 2 heures du matin, et en un quart d’heure le train stoppe en gare de Moulins.
Sur les quais il y a quelques employés de la SNCF mais plus de comité avec la distribution de vivres. Cela sent mauvais. Par contre, la pluie a cessé de tomber. La fatigue aidant, nous nous endormons tous les quatre.

Nous sommes réveillés en sursaut par le bruit énorme d’une voix qui dit « du calme ! L’ennemi est là. Pas de résistance. Descendez dans les passages souterrains. » Nous ne nous faisons pas prier et une demi-heure plus tard tous les réfugiés du train ont obtempéré, y compris le personnel de la gare, le chauffeur et le mécanicien du train. Le message, nous l’avons compris, était diffusé par haut-parleur, mais oui, les grandes gares en étaient équipées à cette époque, puis répété 4 ou 5 fois.
L’angoisse nous étreint et je regarde instinctivement le haut de l’escalier pour voir arriver les soldats allemands.
L’attente est interminable, peut-être 1 ou 2 heures. Quelques personnes plus hardies remontent sur les quais mais tout est désert à leurs dires.

L’aube du 17 Juin arrive, et avec elle le bruit des canons qui ébranle le silence. C’est assourdissant car les allemands répondent aux français. A ce moment-là, les 105mm et les 88mm ont été installés de nuit à l’extrémité des rues perpendiculaires à l’Allier et il y en a trois. Les 75 étaient de l’autre côté, au quartier de la Madeleine sur les berges de l’Allier. Les échanges de tirs durent une bonne partie de la matinée. Puis l’assaut allemand est lancé sur le pont Regemortes pour le franchissement de l’Allier.
Le génie français avait, l’avant-veille, installé des charges explosives sous les arches du pont côté Madeleine dans des emplacements prévus lors de la construction.

Pont de RegemortesLa compagnie de reconnaissance de la Leibstandarte Adolf Hitler se lance sur le pont vers 11 heures. Il y a des side-cars avec mitrailleuses et des automitrailleuses, plus de l’infanterie à pied. C’est alors que le pont Regemortes explose.
Les véhicules et soldats sont pulvérisés et tombent dans l’Allier. Le reste de la colonne fait demi-tour. C’est le seul assaut mais un officier allemand a vu le pont de chemin de fer 500 mètres plus bas. Il s’y rend. Son examen est rapide et sa décision tout aussi. Il faut faire un platelage entre les rails pour y faire rouler les véhicules.
En se rendant au pont, il a remarqué une scierie de bois avec des stocks de planches, des traverses, des madriers. Les soldats allemands s’y rendent mais comme cela ne va pas assez vite, il réquisitionne d’emblée tous les hommes civils qu’il trouve.

En début d’après-midi la première automitrailleuse passe, suivie immédiatement par les camions, les canons et même les chars.
Les soldats français ne voient pas le manège, trop occupés qu’ils sont à assurer la défense du pont Regemortes. C’est ainsi que l’armée allemande prit à revers les défenseurs français, qui furent tués ou faits prisonniers.
A 14 heures, l’affaire est bouclée. Les officiers supérieurs occupent la mairie où ils trouvent le maire et ses adjoints restés à leur poste, le maire s’appelant Boudet.

En ce qui concerne l’explosion du pont Regemortes, elle a fait l’objet d’un diffèrent entre le préfet Louis Adam et le colonel d’Humières, commandant de la place. Le préfet a reçu l’ordre de déclarer Moulins ville ouverte, donc non défendue, mais le Colonel d’Humières a outrepassé les ordres du préfet et fait sauter le pont.
En représailles, l’artillerie allemande s’est acharnée sur certains villages où des civils ont été tués, notamment à Toulon-sur-Allier.

A la gare de Moulins où nous attendons toujours, nous décidons de quitter notre train dès l’aube et pour cela nous descendons nos quatre vélos du wagon. Nous les appuyons contre la façade de la gare pour retourner au wagon reprendre nos petites valises et nos baluchons. Cela n’a pas même pas pris un quart d’heure. A notre retour, stupéfaction, plus de vélos. Des soldats français ont dû les voler pour s’enfuir. Nous sommes pris au piège avec le train pour seul espoir.

Nous rejoignons notre wagon et l’attente se poursuit, alors qu’à côté de nous la ville est à feu et à sang. Les allemands ne sont pas du tout intéressés par la gare mais les routes les intéressent. C’est notre salut. Au matin le sifflet de notre bonne vieille locomotive retentit. On repart, échappant ainsi à la fournaise.
L’allure est un peu plus rapide car un peu plus loin certains trains se sont dirigés sur la ligne Paray-le-Monial/Lyon, d’autres sur la ligne Roanne/St-Etienne ou Saint-Germain-des-Fossés/Clermont-Ferrand.
Par chance, c’est ce dernier itinéraire que le mécanicien choisit. C’est le meilleur car on apprendra par la suite que Lyon est occupée le 19, Saint-Etienne également et Clermont-Ferrand le 20.

A la sortie de Moulins, de notre wagon nous voyons brûler l’atelier de chargement que les français ont fait sauter puis notre parcours se poursuit par Varennes-sur-Allier, Saint-Germain-des-Fossés où la locomotive refait le plein de charbon et d’eau.
Puis on bifurque sur Clermont-Ferrand. En gare de Gannat, où l’on s’arrête, on a la chance de tomber sur un train de marchandises chargé de caisses d’eau de Vichy. On va en chercher cinq ou six, puis vers 11 heures on rentre dans la gare de Clermont-Ferrand où tout règne dans la tranquillité car les allemands n’arriveront que deux jours plus tard, le 20.
Par contre, en gare, comité d’accueil impressionnant : Croix-Rouge avec infirmières qui soignent les malades ou blessés également, de belles dames patronnesses entourées de jeunes filles distribuant des paniers d’osier garnis de victuailles. On nous sert du café, de la soupe chaude. Tous ces gens nous témoignent également leur amitié et leur compassion. Merci les auvergnats. Quelle solidarité !

On ne voit plus aucun militaire car on a laissé le front à 100 kilomètres dernière nous en une matinée.
Vers 13 heures le train redémarre mais on s’était aperçu que quelques réfugiés étaient descendus. Ils avaient certainement des parents à Clermont-Ferrand ou dans le département.
Au départ, je vois le Puy-de-Dôme entouré de ses volcans puis la cathédrale de basalte et des deux flèches noires, en longeant la rivière Allier et ses gorges, Gergovie sur son monticule.
A ce moment, ma mère nous déclare « nous allons nous arrêter à la prochaine gare, Arvant », que je repère sur ma carte, combien précieuse, mais quelques instants plus tard un vrombissement de moteurs d’avions nous fait lever la tête. Trois avions nous survolent mais à très faible altitude, 4 à 500 mètres. Seulement ils portent des croix noires évidement et brillent dans le soleil.
J’identifie des
Junkers Ju88 - Photo du site passion-histoire.forumactif.com
Ju88
, bimoteurs de bombardement flambant-neufs. Nous n’en avions jamais vu aparavant. Ils exécutèrent un aller-retour sur le convoi puis prennent la direction du nord, certainement l’aérodrome d’Aulnat qu’ils viennent d’occuper.

Le 20 Juin, la délégation française se met en route pour contacter les allemands, de notre côté, et sur notre train nous savons la même chose, les chefs de gares traversées nous tenant au courant.
Pourquoi notre mère a-t-elle choisi Arvant comme fin de voyage ? Parce que sa belle-sœur Gaby, femme de mon oncle Henri Rouvet dont nous savions qu’il avait été fait prisonnier à Dunkerque le 2 Juin 1940, habite alors à Auzat-la-Combelle, près de Brassac-les-Mines. Or Arvant se trouve à 6 km de là.

Lors d’un arrêt du train, nous allons prévenir le mécanicien qu’il devrait s’arrêter à Arvant. C’est la première fois que l’on commande un train. A cette occasion, nous remercions vivement le mécanicien et le chauffeur de nous avoir amené jusque-là, sains et saufs.
Le mécanicien nous déclare qu’il doit conduire son train à Nîmes, à l’aérodrome de Courbessac, où les wagons seront déchargés. Les LeO45 seront désormais montés là mais, ironie du sort, ce sont les allemands qui les assembleront par la suite et ils voleront sous les couleurs allemandes.

Comme prévu le train stoppe en gare d’Arvant où nous sommes les seuls à descendre puis il repartit en nous saluant d’un dernier sifflet. Il faut saluer les cheminots français qui, au cours de ce mois de Juin 1940, se dévouèrent sans compter quelquefois au péril de leur vie. Des dizaines furent tués dans leur locomotive.

Le soir de ce 20 Juin nous arrivons enfin à Auzat-la-Combelle complètement exténués, car nous nous sommes trompés de route et avons fait 12 km à pied,. Nous sommes accueillis à bras ouverts. Ma tante n’avait plus de nos nouvelles depuis 15 jours et elle craignait que nous ayons été tués dans les bombardements dont tout le monde parlait.
La conversation dure une partie de la nuit, du moins entre les grandes personnes. Quant à nous, après un copieux repas, on nous prépare des lits et nous sombrons dans un profond sommeil. Enfin une maison et un lit !

Le surlendemain 22 Juin 1940 les radios annoncent l’armistice signé dans la clairière de Rethondes, dont les clauses sont dramatiques pour notre pays mais ceci est une autre histoire, une chape de plomb tombant sur la France pour quatre ans.
Pierre Rouvet

Liens complémentaires:
Autre récit parlant également d'avions italiens: roselinesoudan.pagesperso-orange.fr
Les départs en Chemin de Fer www.histoire-en-questions.fr
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