7/8 MARS 1944 - BOMBARDEMENT DE LA GARE DE TRIAGE DU MANS (72)
Etude réalisée par Michel Coste sur une proposition du sujet d'André Hautier
INTRODUCTION
Dans le cadre de la préparation du
Débarquement en Normandie,
les mois précédant le 6 juin 1944 (mars, avril, mai) vont voir se développer un nombre considérable d'attaques aériennes sur les centres ferroviaires stratégiques
(The Transportation Plan) dans le but de les détruire et de paralyser au maximum le déplacement des renforts venant du Nord, du Centre, du Sud de la France et d'Allemagne.
Le Mans de par sa position proche du lieu du débarquement subira, dès le mois de mars, de multiples raids alliés qui se prolongeront tout au long du débarquement et de la progression des troupes alliées lors de la
Bataille de Normandie
et inaugurera, comme à Trappes (78), le début des bombardements ciblés organisés par le
Bomber Command
en prévision du D-Day .
CIBLE
- Gare de triage dite du Maroc:
C’est dans les landes de la Blanchardière que la Compagnie des Chemins de Fer de l’État aménage de 1911 à 1916 le triage, le dépôt et de grands ateliers près desquels viendront s’établir les usines Renault. Le Mans devient l’une des plaques tournantes ferroviaires de l’Ouest de la France.
Privilégiant la présence sur place des employés travaillant sur le site, la Compagnie des Chemins de Fer de l’État et son directeur général
Raoul Dautry
attribuent aux cheminots un quartier de cent cinquante logements : la Cité du Maroc sise à la limite de la gare de triage.
- Force utilisée: 304 avions
- Plan de vol
- Aller: Bases – Selsey Bill (20 km SE Portsmouth) – Cabourg (Calvados, 49°18'N, 00°10'W) – St-Mard de Reno (Orne, 48°30'N, 00°40') – Le Mans (Sarthe).
- Retour : Le Mans – Mezeray (Sarthe, 47°50'N, 00°00'E) – Mantilly (Orne, 48°30', 00°50'W) – Selsey Bill – bases.
- Déroulement prévu sur la cible: Attaque en 2 vagues nécessitant un marquage précédant chaque assaut.
BOMBARDEMENT
A 20h40, l'avant garde de l'armada alliée venant du NE se présente au-dessus de la cible avec un ciel couvert de nuages. Les avions marqueurs sont absents entrainant un encombrement propice aux collisions. L'attente dure près de 20 mn.
Sans visualisation de la cible due à une couverture nuageuse persistante et l'absence de tout marquage, cent quatre avions n'effectuent pas le bombardement et s'en retournent à leur base après s'être délestés de leurs cargaisons.
Les équipages restants, la cible étant alors délimitée par le marquage, n'hésitent pas à traverser le plafond nuageux. Malheureusement cette couverture nuageuse empêche de visualiser avec précision la cible. Se fiant aux rougeoiements des TI certains équipages larguent leurs cargaisons de bombes, provoquant morts et désolation parmi la population civile.
Dès le début, les zones situées au NO de la cible et entre la ligne de chemin de fer du Mans à Tours bordant le triage et la RN23 sont 'arrosées'. Le quartier du Maroc et les cités ( Cité du Pied Sec, du Mans, des Pins, de la Vallée aux Poules) subissent de plein fouet les effets du bombardement.
- Première vague: entre 21h10 et 21h22
- 2 Mosquito (sur 3) du Groupe 8 marquent la cible vers 21h00 avec 8 TI (Target Indicator) rouges de 250 Ibs, depuis 8400 m
- 21 Lancaster (sur 32) du Groupe 3 larguent, depuis une altitude de 1500 m à 3900 m, 208 bombes de 1000 Ibs MC et 80 bombes de 500 Ibs MC
- 13 Lancaster (sur 24) du Groupe 4 larguent, depuis une altitude de 1500 m à 3900 m, 113 bombes de 1000 Ibs MC et 65 bombes de 500 Ibs GP
- 91 Halifax (sur 126) du Groupe 4 larguent, depuis une altitude de 1500 m à 4800 m, 16 bombes de 2000 Ibs HC, 612 bombes de 1000 Ibs MC et 533 bombes de 500 Ibs GP
- Deuxième vague:entre 21h40 et 21h52
- 1 Mosquito (sur 3) du Groupe 8 marque la cible avec 2 TI (Target Indicator) rouges de 250 Ibs, depuis 8400 m
- 72 Halifax (sur 32) du Groupe 6 larguent, depuis une altitude de 1950 m à 4200 m, 74 bombes de 1000 Ibs MC, 326 bombes de1000 Ibs MC et 678 bombes de 500 Ibs MC.
Lexique:
- HC = High Capacity (haute capacité explosive provoquant la destruction des immeubles et l'écroulement des toits)
- MC = Medium Capacity (moyenne capacité explosive)
- GP = General Purpose (usage général)
- lb = livre - Unité anglaise de masse, équivalent à 453,59237 g
- 250 lbs = 113,4Kg
- 500 lbs = 226,8 Kg
- 1000 lbs = 453,6 Kg
- 2000 lbs = 907,2 Kg
Documents, rapports et cartes sur le PDF de www.archives-historiques.sncf.fr
LES DESTRUCTIONS
Photo issue du livre: The Battle of France Then and now - Peter D Cornwell
1) Gare de triage dite du Maroc (a,b,c,d sur la photo aérienne):
Les destructions les plus importantes, paralysant pour quelques temps le trafic, sont répertoriées sur
ce site.
- Le transformateur, les vestiaires, les bureaux (comptabilité, service allemand, régulation) ont subi de graves dommages
- Plateaux de débranchement et géographique inutilisables pour plusieurs semaines
- Nombreux wagons incendiés et broyés (250), 6 locomotives hors service d'après les rapports du Bomber Command
- Ligne ferroviaire reliant Tours coupée entre la piste 7 et Arnage
- Voies de triages soulevées, pulvérisées (49 impacts)
- Triage géographique (17 impacts) inutilisable
- Voie de circulation de retour coupée (15 impacts)
- Raccordement de la Clarté et des Fontaines coupé (8 impacts)
- Ligne du Mans à Tours (14 impacts) momentanément impraticable
- Par contre les plateaux de réception et d'attente sont intacts
Suite à ce bombardement, les évolutions des machines entre le dépôt et la gare de triage ne peuvent se faire que sur une seule voie de rentrée (voie 1) pour pénétrer dans le dépôt.
2) Dépôt
- Intérieur du dépôt: 37 bombes éclatent à l'intérieur de celui-ci.
- Rotonde 1: une bombe sur le vestiaire qui est dévasté. Les piliers sont soufflés et arrachés. Sur la voie 25 deux locomotives et leurs tenders sont touchés. Les fosses sont inutilisables.
- Rotonde 2: 5 bombes ont éclaté
- Une entre les voies 11 et 12 provoquant l'effondrement de la partie supérieure (3 arches) sur 3 locomotives.
- Une sur la voie rayonnante 21 qui entraine le dysfonctionnement du pont tournant. Deux tenders ont été soulevés sur une locomotive.
- 1 bombe entre les voies 21 et 22. Un tender est soulevé et défoncé.
- Une bombe sur la voie 20. La façade de l'atelier de levage s'est effondrée, provoquant la destruction totale du local. 1 locomotive est recouverte de ballasts.
- La cinquième bombe est tombée entre les voies rayonnantes 46-47. 3 locomotives atteintes dont une est couchée sur le coté droit. Une machine de levage criblée d'éclats.
- Grill (lieu où sont garées à l'extérieur les machines): 8 bombes sur le grill entrainant des avaries des différentes voies ou aiguilles du dépôt. 4 locomotives et 3 tenders touchés. 2 bombes sur la voie de circulation et l'aiguille du triangle entre le grill et le triage.
- Parc à combustible: 5 bombes tombées dans la réserve de charbon, de pétrole, et le magasin de traverses ( railway sleepers). 4 à proximité de la ligne électrique des trolleys du portique.
- Cantine: gravement endommagée.
- Plateau du départ: 2 bombes tombées à l'entrée, 4 à la sortie. Voies 22, 20, 10, 8 coupées.
- Fosse 3: les voies 26, 24, 8 avariées. 2 locomotives couvertes de gravats.
- Plateau d'arrivée: 1 bombe. Les voies de contournement, d'entrée sont inutilisables. Un tender + 24
locomotives touchées.
Conséquences:
- Dépôt immobilisé au point de vue sorties des machines.
- Alimentation en eau et électricité suspendue.
- Matériel roulant:
- 22 locomotives immobilisées pour réparation.
- 1 hors service.
- 16 tenders immobilisés pour réparation.
- 2 hors service.
3/
Quartier du Maroc (f), Cité du Pied sec (e), Cité de la Vallée aux poules (i), Cité des Pins.
- Cité du Maroc: La compagnie des chemins de fer de l’État aménage de 1911 à 1916 le triage, le dépôt et de grands ateliers près desquels viendront s’établir les usines Renault.
Le Mans devient l’une des plaques tournantes ferroviaires de l’Ouest de la France et Pontlieue un quartier cheminot.
- Les cités ouvrières: La deuxième grande mutation des quartiers sud prend naissance dans l'entre-deux guerres, lors des délocalisations vers l'Ouest envisagées par le gouvernement, en vue de sécuriser les industries d'armement.
La position géographique, l'existence d'infrastructures existantes (réseau routier de qualité, gare de triage), une main d'oeuvre en nombre suffisante, font pencher le gouvernement pour le choix du Mans.
La société Manu Rhin, dès 1927, transfère au NO en bordure de la ligne de chemin de fer vers Tours sa fabrique de cartouches de Mulhouse au Mans.
Pour héberger son personnel spécialisé, Manu Rhin fait construire à proximité de la Cartoucherie la Cité du Pied Sec. Face à un surcroit de production en 1939 elle embauche 3000 salariés supplémentaires qu'elle logera dans des baraquements de fortune aux Bruyères route de Parigné- l'Evêque.
A la même période, l’entreprise parisienne Gnome et Rhône, pour édifier au Mans une usine de construction de moteurs d'avions, fait l'achat d'un terrain de 2,5 hectares où elle envisage de loger les ouvriers spécialisés venus de Paris ainsi que la main d'oeuvre locale.
Un programme de 1440 logements est envisagé. Ce programme est réalisé en un temps record: un mois pour installer la Cité de la Vallée aux Poules où sont montés les baraquements destinés à 2000 ouvriers, et neuf mois pour la Cité des Pins, édifiés en habitations faites en grande brique.
Suite au bombardement, la population hébétée constate les dégâts matériels et pleure les pertes humaines.
Sur 2705 bombes de tout calibre lâchées, près de 300 sont tombées sur la cible, certaines se sont éparpillées au NO (quartier de la Cartoucherie (h), Cité du Pied Sec (e)) de la zone désignée et aux alentours de la gare du triage et du dépôt.
La Cité du Pied Sec, le Quartier du Maroc (f), la Cité de la Vallée aux Poules (i), la Cité des Pins, subissent de plein fouet, dès le début du bombardement, la relative imprécision des avions alliés.
Des centaines de maisons sont touchées plus ou moins gravement. Certaines sont pulvérisées d'autres soufflées ou ne présentent que des dégâts plus ou moins légers.
Les rues les plus dévastées se situent dans la zone avoisinant la Cartoucherie et celle comprise entre la limite de la gare de triage et la RN23 et en-deçà de celle-ci.
Les destructions sont concentrées:
- La Pilardière, chemin neuf d'Arnage (un couple est tué. Leur petite fille, grâvement brûlée, meurt le 11 Mars à l’hôpital)
- Boulevard J J Rousseau
- Rue du Cpt Guynemer
- Impasse de la treuillerie
- Avenue Félix Geneslay (Cité des Pins)
- Avenue Bollet
- Rue Mariette
- Rue de la Collectivité
- Rue du Dr Calmette
- Rue du Château d'eau
Aux dires des rapports du Bomber Command le raid fut un succès, ayant permis la neutralisation momentanée du site. Il semblerait que seulement 30 bombes soient tombées sur des zones peuplées de civils, provoquant la mort de 31 civils et en blessant 45.
Aucun avion perdu.
COMPTES RENDUS DE MISSION
Selon le
427 Sq
Très nuageux, sans pluie devenant beau, la visibilité devenant très bonne.
Le Squadron a été retenu ce jour pour fournir 14 avions. La cible à bombarder est Le Mans. Tous nos avions ont décollé mais le 'J' piloté par le F/Sgt King dut retourner précocement suite à un ennui de moteurs.
Pour le reste, 10 ont attaqué la cible. 3 étant incapables de visualiser les TI marqueurs se sont débarrassé de leurs bombes et ont abandonné la force principale conformément aux instructions.
Les conditions météorologiques sur la cible étaient très nuageuses (9/10) avec un plafond à 2140 mètres. Les Mosquitos marqueurs étaient en retard et ont eu des difficultés lors de la localisation de la cible, avant leur descente, suite à cette couverture nuageuse inattendue.
Plusieurs petits incendies furent visibles. Une grande explosion fut observée vers 21h34 par un de nos équipages. La plupart des équipages considère cette attaque très dispersée. Pas de présence ennemie.
Selon le
78 Sq (Halifax LW795)
Décollage 19h23. Atterrissage 23h58
La cible principale fut attaquée et bombardée d'une hauteur de 4572 mètres. La cible fut identifiée par le rougeoiement des TI rouge à travers les nuages. Les défenses étaient plus importantes que prévues. 304 avions : 242 Halifax, 56 Lancaster, 6 Mosquito des 3, 4, 6 et 8 groupes sur Le Mans. Aucune perte.
La cible était couverte de nuages mais il semblerait que les dommages soient très importants. Environ 300 bombes sont tombées dans la gare de triage. 250 wagons sont détruits, beaucoup de voies sont coupées. Une plaque tournante est mise hors service et 6 locomotives touchées.
Les équipages de la RCAF bombardent la cible entre 3658 mètres et 4268 mètres réalisant le largage de
1,019,000 Ibs de bombes hautement explosives.
Les avions pilotés par Sgt A Yaworski, P/O H Holland, F/O G Weldon (427 Sqn) n'effectuent pas le largage car ils ne visualisent aucun TI, il en est de même pour les équipages de F/O C Ford, F/Lt Lord, W/O2 Weldon (428 Sqn), P/O E Giles (429 Sqn), F/Lt J Valentine (431 Sqn), F/O A Mercer, F/Sgt D Maddock, F/O W Smith, F/Sgt E Clarke, P/O S Hawkins, F/O J Barker (432 Sqn), P/O J Major et 7 équipages du 433 Sqn soit 22 avions.
CONCLUSION
Bien que la mission, de par les destructions provoquées sur le site ferroviaire, fut un succès elle laisse au sein de la population un goût amer. Bien préparée par le Bomber Command, dans le but de provoquer le moins de dégâts collatéraux, elle fut perturbée par une météo détestable, une coordination désorganisée qui eurent des conséquences dramatiques sur la suite du raid.
Tout au long du conflit ces bombardements ciblés de grande ampleur, bien qu'acceptés par une population asservie, firent naitre des ressentiments au sein des français vis à vis des aviations alliées, ce qui fut le cas dans la ville meurtrie du Mans cette nuit du 7/8 mars 1944.
SOURCES ET LIENS
- Livres:
- Quand les alliés bombardaient la France 1940-1945 - Eddy Florentin.
- La guerre aérienne dans le Nord de la France - 3 mars 1944 au 14 mars 1944 - Jean Pierre Ducellier.
- The Bomber Command War Diaries - Martin Middlebrook and Chris Everitt.
- Liens :